Récolter beaucoup d’avoine sauvage et en semer aussi
Terrain collectif d’auto-défense économique
Une situation va vous arriver d'ici peu, ou vous la connaissez déjà, vous écrivez à des professionnel·les pour demander un stage, un emploi ou autre. Moment difficile, dans lequel vous vous sentez maladroit·e, dans un nouvel habit très contraignant que vous manipulez mal. À l'autre bout de cette interface, quelqu'un·e qui est peut-être aussi mal à l'aise que vous, de voir votre maladresse. Quelqu'∍n qui sent le décalage entre ses besoins et ce que vous lui proposez. Une personne qui connait bien cette situation, qui va peut-être vous guider dans vos nouvelles pratiques, ou qui va peut-être utiliser votre vulnérabilité, procéder à cette extraction de votre énergie.
L'employabilité, ou l'insertion professionnelle, est souvent envisagée selon un ensemble de compétences, attitudes et attributs neutres à acquérir. Cette présentation est hautement questionnable. Elle ignore la plupart des aspects liés à l'identité personnelle et comment cette identité correspond ou non aux normes dominantes, ainsi que le background socio-économique du de la future travaill[h]eureuse. Mais aussi toutes les spécificités qui font que telle organisation a telle activité et que telle personne vont se rejoindre de manière fertile pour l'une et l'autre.
L'employabilité parle parfois d'épanouissement, mais trop rarement d'émancipation.
Dans notre secteur, celui des « industries créatives », comme il est souvent appelé, se rajoute une vision très romantique et individualisée du domaine de la conception, où l'argent et les conditions matérielles sont souvent taboues, où la singularité est présentée comme « l’originalité » et « le talent ». Elle ignore, voire invisibilise, tout ce qu’il y a autour des productions : leur contexte culturel et économique, les équipes contributrices et petites mains. Cette vision renforce les mécanismes de compétition internalisés.
Partant de ces tensions, dans ce terrain d'auto-défense économique, nous allons nous faire une boîte à outils, nous questionner sur ce que sont de bonnes conditions de travail au sens large. Et donc pas seulement combien on gagne et est-ce qu'on est assez libre, mais est-ce qu'on se sent visibilisé·es et stable. Et aussi qu'est-ce qu'on peut inventer, aller vers quoi, quel est notre rôle moteur pour générer des relations avec la capacité de s'extraire un minimum des logiques extractives* qui sont au cœur de la macro-économie dont nous dépendons encore.
Dans les semaines qui viennent on va parler facture⁂futur et recevoir une comptable avec une surprise (mots clés: ◌protection sociale, ◌auto-exploitation), on verra si la solidarité est possible dans nos professions individualisées, entre autres en invitant un groupe de personnes qui se sentaient seul·es dans leur compte en banque (mots clés: ◌soutien collectif, ◌solidarité), aussi on essayera de retourner l'échelle de valeur avec au dessus endurance, performance économique et sociale (mots clés: ◌crédit, ◌attention) et questionner la notion d'experT qui peut comprendre et penser au nom de tout le monde (mot clés: ◌incarné, ◌complexe) et on se demandera avec qui on communique.
L'idée est donc d'avoir des outils concrets et des rêves à ranger bien au chaud dans le baluchon, le panier, le sac, la gourde, le filet, l'écharpe, le pot, la boîte, le conteneur, que nous allons concevoir et remplir ensemble au fil des séances :
« Si c'est faire quelque chose d'humain que de mettre une chose que vous voulez, parce qu’elle est utile, comestible ou belle, dans un sac ou dans un panier, ou dans un morceau d’écorce ou une feuille roulée, ou dans un filet tressé avec vos propres cheveux, bref, dans ce que vous avez sous la main, pour ensuite le ramener à la maison avec vous (la maison étant une autre sorte de poche ou de sac, un contenant pour des gens), et puis plus tard le ressortir pour le manger, le partager, ou le stocker pour l’hiver dans un contenant plus solide, ou le mettre dans le sac-médecine, l’autel ou le musée, l’endroit qui contient ce qui est sacré, et puis le jour suivant refaire sans doute la même chose — si faire cela est humain, si c’est la condition, alors après tout je suis un être humain. Pleinement, librement, joyeusement, pour la première fois. » (Ursula K. Le Guin, 2018, La Théorie de la fiction-panier, traduit par Aurélien Gabriel Cohen)
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